Pourquoi décriminaliser les drogues?

Par Sean LeBlanc, Drug Users Advocacy League

Je suis un homme canadien, blanc, hétérosexuel et de toute évidence privilégié, alors comment quelqu’un comme moi peut-il rencontrer de la discrimination? À cause de la consommation de drogues, bien sûr…

Chaque fois que j’ai eu des problèmes avec la loi, c’était parce que j’avais consommé des drogues. Ma consommation de drogues n’affectait peut-être personne d’autre que moi, mais j’ai été puni à maintes reprises – jeté en cage à répétition, à cause de ce que je choisissais de mettre dans mon corps. Et pas un seul séjour en cage ne m’a aidé avec quoi que ce soit, ni aidé notre communauté et notre pays. L’incarcération m’a coûté cher – toutes mes possessions, deux fois plutôt qu’une. J’ai perdu d’innombrables endroits où vivre, des emplois, ma dignité et, plus tragiquement encore, des ami-es, à cause de la criminalisation des personnes qui consomment des drogues.

Cette criminalisation a également coûté à nos collectivités des sommes inestimables qui ont été gaspillées dans des tribunaux, des bureaux de probation et autres – et pourquoi donc? A-t-elle réduit la consommation de drogues, les surdoses ou les dangers qui guettent les personnes qui consomment des drogues jour après jour? Je peux vous dire avec assurance que non; en fait, elle a accru les dangers pour ces personnes, car la criminalisation ne fait que nous pousser en marge de la société, où tout le cycle recommence : consommer des drogues, être arrêté-e, sortir de prison sous conditions et sans aucune possession, vivre dans un refuge avec des personnes qui consomment, et essayer tant bien que mal de tout rebâtir à partir de rien – absolument rien. Et répéter.

J’ai réussi à vaincre mes démons et à modifier ma consommation de drogues après qu’une juge m’ait enfin écouté et m’ait complètement acquitté de mes accusations liées à la drogue, lorsque je lui ai dit qu’elle ne me reverrait plus si elle rejetait ces accusations contre moi. Et j’ai tenu promesse. J’ai arrêté de consommer des drogues dangereuses de façon dangereuse dès la première fois que ma consommation de drogues a été traitée comme un mode de survie, un problème de santé, plutôt que comme un crime. Bien sûr, ma situation de privilège m’a aidé. Je ne peux qu’avoir de l’empathie pour les personnes autochtones, noires et de couleur et les personnes LGBTQ+ qui subissent de la stigmatisation et de la discrimination au quotidien – et pourquoi donc? Par contrôle? Je ne comprends pas où est la logique, dans un pays progressiste comme le nôtre.

« J’ai arrêté de consommer des drogues dangereuses de façon dangereuse dès la première fois que ma consommation de drogues a été traitée comme un mode de survie, un problème de santé, plutôt que comme un crime. »

Depuis plus de cent ans, le Canada a décidé qu’il valait mieux punir les personnes qui consomment des drogues que de les aider, ce qui n’a fait qu’aggraver le problème. Par exemple, je vis dans notre capitale nationale, Ottawa. Chaque année, nous avons une journée de sensibilisation à la prévention des surdoses; et malgré des services formidables, les surdoses continuent d’augmenter. Déjà en 2012, il y a eu environ 30 surdoses mortelles à Ottawa. Depuis, d’excellentes initiatives ont vu le jour, comme quatre sites d’injection supervisée, un programme de naloxone bien géré et maintenant, un approvisionnement plus sûr. Avec de tels programmes communautaires, le nombre de surdoses mortelles ne peut qu’avoir diminué, non? Faux

L’an dernier (2020), notre ville a connu plus de 120 surdoses mortelles. Cent-vingt magnifiques personnes ne sont plus ici parce que les gens au pouvoir continuent à décider de ce dont nous avons besoin, plutôt que d’écouter activement ce que nous avons à dire. Vingt-six mille (26 000) Canadien-nes sont décédé-es des suites d’une surdose depuis 2015. Et pourquoi donc? Notre communauté a été tellement traumatisée – combien d’autres personnes devront mourir avant qu’on se décide à agir?

Photos of people in a scrapbook
Album-hommage à la vie et à la mémoire de personnes décédées d’une surdose

J’ai un album où j’ajoute quand je le peux les visages de celles et ceux que nous avons perdu-es. Eh bien, mon livre est plein, au sens propre et figuré. J’ai l’impression d’être un vétéran de guerre, avec les dizaines de bon-nes ami-es que nous avons perdu-es (je dis « nous », car nous sommes tous et toutes perdant-es lorsqu’une personne meurt inutilement – tant de potentiel jamais réalisé, à cause de lois draconiennes fondées sur le racisme, le classisme et des préjugés personnels qui contredisent la science et qui sont toujours en vigueur). Tout cela dure depuis plus d’un siècle, et pourquoi donc? La consommation de drogues a-t-elle diminué, ne serait-ce qu’un peu? Y a-t-il moins de personnes qui meurent ou qui subissent des préjudices? Y a-t-il moyen de faire mieux?

Shoes with white cards written with names of the deceased arranged along the pavement
Commémoration lors de la Journée internationale de sensibilisation aux surdoses, Ottawa

Oui, on peut faire mieux et ça commence par la décriminalisation. Depuis près de 15 ans que je défends les droits des personnes qui consomment des drogues, je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire que le fait d’être criminalisé à cause de ce qu’il consomme l’avait aidé. Et la discrimination que nous vivons ne se limite pas au système judiciaire : nous sommes traité-es comme des moins que rien dans de nombreux hôpitaux, des écoles, des centres communautaires, etc. Encore une fois, pourquoi?

Nous avons besoin d’un Canada où la consommation de drogues est traitée comme un problème de santé – ce qu’elle est. Nous avons besoin d’un Canada qui défend celles et ceux qui sont historiquement poussé-es en marge de la société. Nous avons besoin d’un Canada qui vit selon son éthos de nation progressiste fondée sur le respect des droits de la personne. Nous avons besoin d’un Canada qui s’occupe des gens qui ont besoin de soins, et où l’on n’est pas rejeté-e et stigmatisé-e simplement parce qu’on consomme un certain type de drogue. Nous avons besoin d’un Canada où la décriminalisation des drogues fait loi!

Les proches, les ami-es, les êtres aimés et les enfants que nous avons inutilement perdu-es parce que certains de leurs actes étaient criminalisés n’en méritent pas moins. Et nous avons besoin que le Canada soit un leader en réalisant cela DÈS MAINTENANT.

About Regulation Project

The Regulation Project is an international collaboration to advocate and educate for the legal regulation of drugs.