Au cours de deux jours et six heures de discussion avec une quarantaine de participants à travers le Nouveau-Brunswick, on a constaté que la stigmatisation est un problème important qui existe et qui empêche les services et les ressources d’atteindre les personnes dans le besoin. En effet, un grand nombre de personnes associent le trouble lié à la consommation de substances à la criminalité (et le considèrent comme un choix plutôt qu’un problème de santé), ce qui rend plus difficile d’établir le soutien nécessaire pour des services essentiels comme les refuges d’urgence, les sites de consommation supervisés et même les mesures de sauvetage de base comme la naloxone. Là où les ressources et les services existent, les participants ont déclaré qu’ils étaient plus difficiles à accéder pour les personnes qui consomment des drogues : « La stigmatisation ne sert à rien, car les non-consommateurs obtiennent de l’aide plus rapidement que les personnes dépendantes des drogues ».
De nombreuses personnes ont souligné que la stigmatisation qui existe dans le système de santé peut être particulièrement néfaste parce qu’elle peut décourager les individus de chercher de l’aide lorsqu’ils en ont besoin : « Beaucoup de personnes [qui consomment des drogues] refusent d’aller à l’hôpital parce qu’elles ressentent la stigmatisation ». « Aux salles d’urgence, ce ne sont pas tous les membres du personnel mais un grand nombre d’entre eux qui traitent les consommateurs de méthadone comme des citoyens de seconde zone », a déclaré un participant. Les gens ressentaient le jugement du personnel de l’hôpital, et la criminalité ainsi que la stigmatisation qui sont associées à la consommation de substances ont également contribué à la confusion et à des messages contradictoires : « À Saint John, on stigmatise les consommateurs ainsi que la réduction des méfaits. On dit qu’ils peuvent consommer à l’hôpital, mais on dit aussi qu’on arrêtera leurs amis s’ils leur amènent des substances à consommer ».
La stigmatisation limite également la capacité des gens à assurer leurs besoins fondamentaux, tels que le logement : « sans logement et sans avoir un […] endroit où se rendre, ils n’ont vraiment aucune chance ». La stigmatisation sociale largement répandue empêche également les gens de se présenter et de parler librement de leur consommation de substances. Les services de soutien et les programmes de traitement existants sont donc moins efficaces, car les personnes sont moins enclines à révéler leur consommation de substances et à prendre des mesures pour accéder à ces services. Leur silence ne fait qu’accentuer la honte et les préjugés ressentis par les consommateurs de drogues, ce qui perpétue un cycle néfaste.
Manque de ressources, de services et de connaissances
Pendant ces deux jours, les participants ont signalé un grave manque de ressources, de services et de connaissances de base en matière de réduction des méfaits, et cela même chez les fournisseurs de soins de santé. Ils ont souligné que le Nouveau-Brunswick avait 20 ans de retard sur le reste du pays quant aux progrès réalisés en matière de réduction des méfaits au moyen d’initiatives telles que les programmes de formation à la naloxone et les sites d’injection supervisés. Cela montre bien que les zones rurales et les petites villes sont les dernières à recevoir ces services vitaux. « Le gouvernement du Nouveau-Brunswick se bat contre lui-même. Ne pas offrir de contenants pour objets pointus et tranchants, ne rien offrir de gratuit », a déclaré un participant. On a indiqué que certains infirmiers et infirmières ne savaient pas ce qu’était la naloxone ni comment l’utiliser. Ainsi, il fallait demander au personnel d’autres organisations comment administrer correctement ce médicament indispensable à la vie. Un des participants a fait remarquer que cela révèle comment la stigmatisation peut affecter tout un système et non seulement des individus.

On a constaté qu’il était nécessaire que l’évaluation de la sécurité des drogues soit étendue ainsi que l’ouverture de sites d’injection supervisés et de sites de prévention de surdoses afin d’offrir des lieux plus sûrs pour la consommation de drogues. Les pharmaciens ont également besoin de naloxone gratuite qui peut être distribuée facilement. Les participants ont indiqué que de nombreux médecins hésitent à adopter
« l’approvisionnement sûr » comme alternative au marché contaminé des drogues illicites à cause de la stigmatisation et de la criminalité associées à la consommation de ces substances. Les consommateurs de drogues doivent donc compter sur un approvisionnement dangereux de drogues non réglementées achetées dans la rue, loin des professionnels et des services de santé. Selon un participant, une pilule prescrite par un approvisionnement sûr coûte environ 32 cents, alors que le système de soins de santé doit débourser des milliers de dollars en cas de surdose causée par un approvisionnement contaminé.

Le manque de services et de ressources a souvent entraîné d’autres méfaits ; par exemple, un participant a admis avoir sorti des aiguilles usagées de contenants d’objets pointus et tranchants parce que les hôpitaux refusaient de distribuer de nouvelles aiguilles. Et un participant a souligné que le traitement d’un seul cas d’hépatite C, transmissible par l’utilisation des aiguilles non stériles, peut coûter environ 75 000 de dollars. Voilà une intervention par la santé publique — la distribution de nouveaux approvisionnements sûrs pour la consommation de drogues — qui permettrait d’économiser des milliers de dollars en prévenant la transmission des maladies infectieuses, tout en protégeant également (et surtout) la santé et la sécurité des personnes.
Les participants au dialogue ont souligné que le manque de services se faisait sentir dans une catégorie particulière : les services de santé mentale. Pour de nombreux participants, les soins de santé mentale étaient coûteux et non couverts par le régime d’assurance-maladie. Par ailleurs, les longues listes d’attente pour les services posaient aussi un problème — un participant a dû attendre cinq ans avant qu’un professionnel de la santé mentale ne lui soit désigné. Il existe également des obstacles injustifiés, comme le fait que les services de santé mentale ne sont pas fournis dans certaines régions ou seulement dans certains établissements médicaux. Les participants ont souligné le manque de financement et d’investissement du gouvernement dans les services de santé mentale. Ils ont ajouté que l’on ne faisait pas assez pour enseigner aux jeunes comment surmonter l’anxiété et le stress.

Isolement rural
Pour les participants au dialogue qui vivent en dehors des centres-villes, le manque de ressources et de services est directement lié à un sentiment d’isolement géographique. Les communautés se sentaient laissées pour compte. Les programmes de traitement de la toxicomanie étaient souvent situés loin et comportaient souvent de longues listes d’attente auxquelles il était impossible de se tenir pour les personnes ayant besoin d’une aide immédiate. Il en résulte une situation où « les personnes qui consomment de la drogue doivent attendre que le système soit prêt pour elles », et non l’inverse.
Les gens ont signalé que le manque de fournitures de réduction des méfaits et de connaissances de base de la part du public dans les communautés rurales concernant les contrôles et vérifications des drogues était particulièrement problématique. Même recevoir des soins de santé de base était souvent un défi : « Pas de médecin de famille dans ma région. Je dois me rendre à Moncton, par exemple, si j’ai une infection urinaire ». Les individus des petites communautés ont également connu plus de stigmatisation que ceux des centres-villes, car ils étaient moins enclins à parler ouvertement de la consommation de substances et à la reconnaître comme un problème de santé. Les gens avaient l’impression que les campagnes de sensibilisation et contre la stigmatisation prenaient plus de temps pour atteindre les personnes des communautés éloignées qui avaient besoin d’entendre le message.
Logement et pauvreté
La nécessité de stratégies en matière de logement et de réduction de la pauvreté a été l’un des principaux sujets de discussion comme une approche de santé publique en matière de drogues. Les participants ont indiqué que les avantages des services et des programmes sont réduits lorsque la personne qui les utilise n’a pas de logement où retourner. « Lorsque vous amenez des gens en cure de désintoxication, nous allons les aider à se désintoxiquer, mais que se passe-t-il ensuite? Ils retournent dans les endroits où ils connaissent déjà des gens. Cela les fait revenir en arrière », a déclaré un participant. « Il doit y avoir des maisons de rétablissement où les gens peuvent se rendre pour récupérer au lieu de retourner dans les rues ».

On a révélé que la plupart des programmes de logement et des propriétaires exigent l’abstinence, ce qui est un obstacle à l’accès. Les services devraient plutôt viser à « offrir les environnements adéquats pour que les clients puissent réussir au lieu de les obliger à suivre une voie que nous avons prédéterminée » — ce qui signifie qu’il faut rencontrer les gens là où ils sont et ne pas refuser des services ou un logement parce que quelqu’un consomme de la drogue. Les participants ont également souligné que les longues listes d’attente sont un obstacle considérable au bien-être et au rétablissement — un participant a rapporté avoir été sur une liste d’attente pour un logement au cours des 4 dernières années.
Un autre obstacle important est la difficulté rencontrée au quotidien des personnes qui vivent dans la pauvreté. Sans les éléments nécessaires comme des toilettes, l’internet et un téléphone fonctionnel, il était presque impossible pour les gens de se rapprocher de la route vers le bien-être et à demeurer sur le droit chemin. La crise COVID-19 a aggravé la situation avec la fermeture des bibliothèques et des cafés, privant les personnes sans logement de la possibilité d’accéder à l’information et d’aller aux toilettes — quelque chose de si fondamental que, une fois enlevé, cela prive quelqu’un de sa dignité. Les participants ont aussi souligné les insuffisances de l’aide sociale par rapport au coût de vie : « Un client qui reçoit de l’assurance-emploi a besoin de remplacements d’opioïdes et doit payer 300 $ par mois pour la méthadone, mais l’assurance-emploi ne paie que 950 $ par mois et elle ne peut donc pas payer ses factures. Il n’y a aucun programme pour l’aider ».
Conception du service
L’expérience qu’ont les gens de la pauvreté et l’itinérance a montré que la prestation de services n’était pas conçue pour répondre à leurs besoins. Les personnes en situation de pauvreté et l’itinérance n’ont pas toujours accès à un téléphone, à un calendrier ou à l’internet, et se présenter chez le médecin et recevoir des soins de santé pendant des heures limitées et dans des lieux précis sont des défis importants. De plus, les prestataires de services sont souvent le seul moyen d’atteindre les populations marginalisées. Ils sont souvent à la limite de leurs capacités et dépendent de fonds précieux pour offrir des services vitaux ce que peu d’entre eux sont capables de faire.

Par ailleurs, une personne aux prises avec l’itinérance et la dépendance à des substances peut manquer un rendez-vous pour une multitude d’autres raisons. « Pas de rendez-vous, ils ne peuvent pas prendre de rendez-vous. Ils ont survécu hier et ils doivent encore survivre aujourd’hui », a remarqué un participant. De nombreux participants ont identifié une solution pour remédier à ce problème : la mise à disposition de services mobiles aux clients qui en ont besoin, au moment et à l’endroit où ils se trouvent. Les services sur demande leur paraissaient essentiels afin de permettre à une personne souffrant d’un trouble lié à la consommation de substances d’obtenir de l’aide au moment où elle en a besoin. Cependant, maintenir une procédure et un programme d’intervention stricts et réglementés pour la prestation de ces services constitue un manque de compréhension des réalités vécues par les populations marginalisées.
Communications et histoires
Les histoires personnelles sont devenues un moyen possible de lutter contre la stigmatisation, source d’un grand nombre des préjudices mentionnés ci-dessus. Les participants ont estimé que les récits personnels sont une manière efficace de présenter au public les réalités quotidiennes des personnes qui consomment des drogues afin de faire évoluer les perceptions et de réduire la stigmatisation. « Si seulement les gens pouvaient comprendre… » Cette phrase accompagnait souvent les explications sur la difficulté de la vie quotidienne lorsque des personnes sont en situation de logement précaire et/ou de dépendance à des substances. Les participants ont déclaré que leurs logements (des tentes) avaient été démolis plusieurs fois et qu’ils avaient dû faire face à des listes d’attente incroyablement longues pour obtenir un logement supervisé.
Ces récits personnels révèlent les immenses défis auxquels sont confrontés les membres de la communauté qui tentent de se rendre au lendemain vivant. Il s’agit là de toute une gamme d’expériences dont le grand public tient rarement compte. Les récits sont soutenus par l’idée que la compréhension conduit à un changement de perception, qui à son tour réduit la stigmatisation — « il faut absolument que le public soit de notre côté ». Les campagnes de sensibilisation du public ciblant divers groupes comme les syndicats, les fournisseurs de soins de santé et les pompiers ont été proposées comme des moyens importants pour « élargir la coalition de soutien… et la volonté collective de réaliser le changement ».
Les participants ont présenté des histoires positives de personnes ayant une expérience vécue et/ou de professionnels des services ou des soins de santé qui ont fait une différence. Ces histoires ont été décrites comme des réponses efficaces pour contrer les représentations négatives des personnes qui consomment des drogues dans les médias : « Il faut montrer ceux qui ont ‘combattu les démons’ pour que le public comprenne … L’espoir a une grande importance dans les médias ».