Les politiques gouvernementales ont des impacts directs sur les individus et les communautés. Les politiques de contrôle des drogues ne font pas exception. Toutefois, depuis le début des efforts pour lutter contre les drogues, nos politiques s’appuient sur des croyances morales profondément ancrées plutôt que sur des données probantes. Commençant à reconnaître que les politiques existantes échouent à répondre aux préoccupations sérieuses liées à la consommation de substances, nombreux sont ceux qui ont amorcé un examen attentif et longuement attendu des résultats de l’approche actuelle.
Par ailleurs, la pandémie de la COVID-19 a mis au jour la situation particulièrement vulnérable des personnes qui consomment des drogues et a réduit la capacité des gouvernements à fournir une aide vitale en période de crise mondiale. La COVID-19 a perturbé les marchés des drogues illégales, rendant celles-ci plus dangereuses que jamais. La règle de distanciation physique pour prévenir la transmission du coronavirus a augmenté le risque de surdose pour les personnes qui consomment des drogues, car un plus grand nombre d’entre elles consomment seules. En conséquence, les décès par surdose ont augmenté à travers le Canada, en particulier en Ontario et en Colombie-Britannique, où plus de 100 décès par surdose ont été signalés en mars 2020 – un seuil qui n’avait pas été franchi depuis un an.
La crise d’empoisonnement aux opioïdes et le marché non réglementé des drogues
L’Amérique du Nord connaît depuis plusieurs années sa pire crise d’empoisonnement aux opioïdes, et aucune fin n’est en vue. L’Agence de la santé publique du Canada a publié en décembre 2019 des données qui révèlent qu’au moins 4 614 personnes sont décédées au Canada d’une surdose d’opioïdes en 2018, soit une augmentation de 11 pour cent par rapport à l’année précédente. De 2016 à mars 2019, au moins 12 813 décès liés aux opioïdes sont survenus au Canada. De ceux-ci, 74 pour cent concernaient des hommes, dont 88 pour cent entre 20 et 55 ans. Soixante-dix pour cent (70 %) des décès par surdose impliquaient du fentanyl ou des analogues du fentanyl, et 76 pour cent impliquaient également des substances non opioïdes.
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Bien que les décès par empoisonnement aux opioïdes surviennent en majorité en Colombie-Britannique, en Ontario et en Alberta, aucune province et aucun territoire n’échappe à la crise. Statistique Canada a récemment signalé que l’espérance de vie au Canada avait cessé d’augmenter en raison des surdoses – un constat majeur qui met en relief l’urgence de la crise.
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Il existe un lien étonnamment logique entre les politiques sur les drogues du Canada et la crise d’empoisonnement aux opioïdes. Ce lien est illustré par le concept de la « Loi d’airain de la prohibition », qui décrit comment une répression policière accrue entraîne l’apparition de drogues illégales plus puissantes.1 Le risque d’arrestation et de sanctions pénales incite les trafiquants de drogue à faire le commerce de drogues plus fortes et plus petites, qui peuvent être importées et dissimulées plus facilement.
Opioïde | Force relative à volume égal, comparée à la morphine |
Morphine | 1 |
Methadone | 3x |
Diacetylmorphine (Heroin) | 2 – 5x |
Fentanyl | 50 – 100x |
Carfentanil | 10,000x |
En raison de la prohibition, l’opium à fumer (qui était moins dangereux) n’est plus disponible au Canada comme il l’était au 19e siècle. Il a été remplacé par une drogue plus forte, l’héroïne, qui se voit à présent remplacée par un mélange de substances chimiques encore plus puissantes, y compris le fentanyl et le carfentanil. Ces dernières, importées de laboratoires clandestins de pays comme la Chine, ont saturé le marché non réglementé des drogues qui n’est pas surveillé pour garantir la qualité et l’innocuité des produits vendus.
Taux de criminalité, crimes liés aux drogues et crime organisé
Tout le monde veut vivre dans une société en santé et sécuritaire. Pendant la plus grande partie de l’histoire récente du Canada, des préoccupations de sécurité publique liées à la consommation de substances ont conduit les gouvernements à intensifier la portée des lois sur les drogues, la sévérité des sanctions et l’ampleur des mesures policières. La police et les gouvernements prétendent que les politiques et les fonds en matière de drogues visent à arrêter la production et la vente à haut niveau de substances illégales, mais en réalité des statistiques révèlent que les jeunes et les personnes consommatrices pauvres et marginalisées sont les plus vulnérables à l’arrestation – et non les trafiquants de haut niveau.2
En 2016, on a recensé au Canada 95 417 arrestations liées aux drogues. De celles-ci, 73 pour cent concernaient la possession de drogues – ce qui démontre qu’une grande partie des ressources policières et juridiques ciblent des infractions de niveau inférieur.3 De plus, les taux généraux de criminalité diminuent depuis 1990, mais les infractions liées aux drogues déclarées par la police ont fortement augmenté en dépit de tendances de consommation de drogues essentiellement inchangées.4 Les organisations criminelles jouent un rôle majeur dans la production, l’importation et la distribution des drogues au Canada, ce qui constitue leur activité la plus lucrative. Le blanchiment d’argent issu du commerce des drogues demeure un important problème au pays, contribuant à la hausse des prix de l’immobilier et à l’instabilité du logement.
Prisons et incarcération
Dans les prisons du Canada, on observe des nombres disproportionnés de personnes de couleur, d’Autochtones et de femmes. En 2017, le Bureau de l’enquêteur correctionnel a indiqué que les personnes autochtones représentaient 26,4 pour cent de la population des prisons fédérales, mais seulement 4,3 pour cent de la population canadienne. Au cours des trois dernières décennies, le taux d’incarcération des Autochtones a augmenté chaque année dans les prisons fédérales, et le nombre de détenu-es noir-es a augmenté de près de 90 pour cent entre 2002 et 2013.5
En 2013, 47 pour cent des femmes dans les prisons provinciales de la Colombie-Britannique étaient racisées et la moitié d’entre elles étaient incarcérées pour des infractions liées aux drogues. La surreprésentation des personnes autochtones et racisées en prison ainsi que la proportion plus élevée de femmes purgeant une peine pour des infractions liées aux drogues sont disproportionnées par rapport à leurs taux d’arrestation liée aux drogues, à leurs taux de consommation de drogues et à leur implication dans le commerce illégal de drogues.6 Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a également affirmé que la surreprésentation des Autochtones en prison est « systémique et liée à la race » et exacerbée par le système de justice pénale et l’historique de colonialisme au Canada.7
Hausse de la violence
Les criminels n’ont pas à respecter les règles du jeu. Aucune norme et aucun règlement ne régissant le fonctionnement du marché illégal, la violence est souvent l’outil qui sert à résoudre les conflits, à exiger le paiement des dettes et à élargir les parts de marché. En dépit de l’idée reçue selon laquelle le renforcement de l’application de la loi sur les drogues réduit la violence, les faits suggèrent fortement le contraire : la prohibition contribue à la violence dans le marché des drogues et à l’augmentation des taux d’homicide.8
Étouffement de la recherche médicale
Le fait de rendre des substances illégales limite leurs possibles usages et avantages médicaux, de même que la recherche sur leurs utilisations potentiellement bénéfiques, salvatrices et améliorant la vie. Il est beaucoup plus difficile pour les chercheur-es d’obtenir des fonds pour étudier les possibles avantages de santé d’une substance classée comme « interdite ». Cet obstacle décourage également des chercheur-es d’entreprendre de tels travaux, ce qui représente une importante occasion manquée pour l’avancement de la science. Or si nous commençons à modifier notre façon de penser aux substances actuellement illégales, la volonté de les étudier en tant que médicaments suivra.
Nous sommes à présent dans une ère décrite comme une « renaissance » de la recherche sur les substances psychédéliques en tant que médicaments. Au début des années 1940, la découverte de puissants effets psychologiques de certains psychédéliques, comme la psilocybine et le LSD, a conduit à un vaste programme de recherche financé par le gouvernement sur les utilisations médicales potentielles de ces drogues. Toutefois, des préoccupations liées à l’utilisation non médicale de ces substances dans les années 1960 ont mené à restreindre l’accès et à réduire le financement des études, mettant ainsi fin à ces recherches prometteuses.
Au cours des dernières années, le financement privé a entraîné une croissance rapide de la recherche sur la psilocybine pour le traitement de l’anxiété en fin de vie, sur la thérapie à la MDMA pour le traitement du syndrome de stress post-traumatique et sur d’autres utilisations prometteuses, comme l’ayahuasca et l’ibogaïne pour le traitement de la dépendance. Bien qu’il soit souhaitable que ces travaux se déroulent maintenant, le moratoire sur ces recherches a retardé de plusieurs décennies les utilisations bénéfiques de ces médicaments et d’autres. De même, la recherche sur les bienfaits médicaux du cannabis ne fait que commencer, malgré des centaines d’années d’expérience anecdotique suggérant des bienfaits.
Aggravation des effets néfastes de la consommation de drogues
Le résultat le plus paradoxal de nos politiques actuelles, censées améliorer la condition humaine en contrôlant des substances, est peut-être qu’elles ont conduit exactement au contraire, en exacerbant les effets néfastes de la consommation de substances – notamment par :
- L’augmentation de la propagation de maladies infectieuses comme l’infection à VIH et l’hépatite C, en limitant la fourniture de seringues stériles, du traitement par agonistes opioïdes et de matériel stérile pour l’inhalation, y compris en prison
- La stigmatisation et la peur, qui dissuadent des personnes qui consomment des drogues illégales de recourir à des services de prévention et de soins
- L’incitation des personnes qui consomment des substances à dépenser pour l’achat de drogues des sommes d’argent destinées au logement, à l’alimentation et au transport, entraînant de moins bons résultats de santé
- La participation forcée de personnes qui consomment des drogues à des activités illégales (comme le travail du sexe) pour se procurer les substances dont elles sont dépendantes
- La marginalisation accrue des personnes qui consomment des drogues et qui ont de lourds troubles psychologiques, sociaux et de santé;
- L’éducation scolaire inefficace des jeunes à propos des substances
- Les préjudices écologiques des herbicides, des déchets chimiques de laboratoire non réglementés et de la consommation d’énergie pour alimenter un marché illégal
- La dépense d’importantes sommes dans des approches d’application de la loi et de justice pénale (qui se sont avérées inefficaces), alors que les ressources pour l’éducation, la santé publique et le développement social sont rares.
[1] Alchian, Armen Albert (1983). Exchange & production: competition, coordination & control. Belmont, CA: Wadsworth Pub. Co. ISBN0-534-01320-1
[2] More Harm than Good., p.47
[3] Boyd, Susan. Drug Use, Arrests, Policing, and Imprisonment in Canada and BC, 2015-2016.
[4] Ibid. Note that cannabis use rates have been increasing since 1990, but still remain significantly lower than the early 1980s.
[5-7] More Harm than Good.
[8] Werb et al. 2010 (in MHTG, pg. 60)